vendredi 1 juin 2018

Interview de Thomas Lacôte, compositeur

Thomas Lacôte est la deuxième personnalité à répondre à quelques questions.

Son oeuvre Uchronies pour deux pianos, sera créée le 29 juillet à l'église de La grave. Il participera également au colloque le samedi 04 août, intitulé "La technique de l'emprunt".

Vous pouvez retrouver le programme complet du concert, ainsi que la réservation des places en cliquant sur ce lien.

Ainsi que le programme du colloque auquel il participera en cliquant sur ce lien.



Né en 1982, il a été formé aux Conservatoires de Poitiers, Saint-Maur-des-Fossés, puis au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSM), où il obtient cinq premiers prix mention très bien entre 2002 et 2006, et un Diplôme de Formation Supérieure mention recherche-création-composition. Il aura été l'élève des personnalités aussi diverses qu'Eric Lebrun, Louis Robilliard, Olivier Latry, Philippe Lefebvre, Jean-François Zygel, Michaël Levinas ou Marc-André Dalbavie. Il est titulaire du grand orgue de l’église de la Trinité, tribune qui fut pendant plusieurs décennies celle d'Olivier Messiaen. En 2014 il a été nommé professeur d’analyse musicale au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, où il fut pendant 6 ans l’assistant de Michaël Levinas. Il enseigne l'analyse et l'écriture au Conservatoire à Rayonnement Régional d'Aubervilliers-La Courneuve ainsi qu'au Pôle Supérieur 93, également. Ses activités musicales multiples associent composition, improvisation, interprétation, pédagogie et recherche. En tant qu'organiste il se produit dans le monde entier. 
Son activité de compositeur prend aujourd'hui une importance croissante : l'orgue y occupe une place de choix, ainsi que la musique vocale. Il répond à des commandes de Radio-France, du Festival de Feldkirch (Autriche), de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris, mais aussi de plusieurs conservatoires. Ses oeuvres sont interprétées notamment par les organistes Ghislain Leroy, Tobias Willi, Martin Tembremande, Angèle Dionnau, Yoann Tardivel, Pascale Rouet, Francesco Filidei, les saxophonistes Lars Mlekusch et Antonio Mollica, l'ensemble Vocal Aedes (direction Mathieu Romano), la Maîtrise de Notre-Dame de Paris (direction Lionel Sow).

En 2012, Thomas Lacôte reçoit le Prix Simone et Cino Del Duca de L’académie des Beaux-Arts-Institut de France.

Avec les musicologues Y. Balmer et C. Murray, Thomas Lacôte  mène depuis plusieurs années un important travail de recherche sur l’œuvre d’Olivier Messiaen, conduisant à la rédaction d’un ouvrage aux éditions Symétrie : Le modèle et l’invention : Olivier Messiaen et la technique de l’emprunt, 2017, récompensé par le Prix spécial du jury France Musique des Muses, et à la publication de plusieurs articles dans des revues internationales (XXth Century Music, Journal of the American Musicological Society). 

Son carnet de recherche en ligne, "Phtoggos", relie ses différentes activités au sein d'une même démarche de recherche et de création en musique. 

Thomas Lacôte a donné plusieurs conférences lors d'éditions précédentes du festival Messiaen au pays de la Meije.


Compositeur, organiste à la Trinité et professeur d’analyse au Conservatoire de Paris, votre parcours s’inscrit dans celui d’Olivier Messiaen : cela vous confère-t-il une responsabilité particulière ? 


La responsabilité de telles fonctions, c’est d’abord celle d’imaginer, de faire, de construire ! Je crois que s’arrêter à quelques « titres » serait une illusion d’optique. On oublie d’ailleurs que le jeune Messiaen, organiste à la Trinité, succédait à un organiste, compositeur, chercheur, au prestige immense en son temps : Alexandre Guilmant. S’il y a une leçon à retenir, c’est d’abord, il me semble, qu’il a eu l’audace et la force d’imaginer autre chose, avec une grande exigence personnelle et la plus haute conception de la valeur de la musique.  


Justement, que représente pour vous, compositeur d’aujourd’hui, l’œuvre d’Olivier Messiaen ?


Il m’est bien difficile de vous répondre en quelques lignes, notamment car j’ai écrit avec mes deux camarades Yves Balmer et Christopher Murray un livre de quelques 600 pages sur l’artisanat de composition de Messiaen, qui fera d’ailleurs l’objet d’une journée d’études dans le cadre du festival. Il s’agit donc pour moi d’un long compagnonnage avec son œuvre depuis mes années d’adolescence. Peut-être même fallait-il, pour que mes fonctions d’organiste à la Trinité ne reviennent pas à devenir gardien d’un musée, me construire une relation particulière avec l’œuvre de Messiaen, au sens d’y distinguer des dimensions nouvelles, apporter une pierre à l’édifice de sa compréhension : c’est ce que nous avons tenté de faire collectivement dans ce livre, et que je poursuis sur mon propre chemin. Je pense aussi à l’exploration en cours du fonds Messiaen de la Bibliothèque nationale de France, exceptionnelle source pour une nouvelle réception de sa production, pour les musicologues mais aussi les interprètes et les créateurs. Probablement sommes-nous au début d’un nouvel « effet Messiaen » : comme toute grande œuvre, elle parle différemment à chaque nouvelle génération. 

Quelles influences musicales vous reconnaissez-vous?


Elles sont innombrables ! Il y a beaucoup à apprendre de tant d’œuvres et d’expressions musicales diverses, et le professeur d’analyse et d’écriture en fait en quelque sorte son métier. C’est d’ailleurs cette démarche, absolument consubstantielle à l’activité de création musicale, que nous étudions en grand détail dans l’œuvre de Messiaen dans notre livre, grâce aux multiples traces qu’elle a laissées et à la technique spécifique qu’il s’est forgée pour retenir des œuvres qu’il aimait des éléments pour sa propre musique. Ainsi, j’ai pris mes distances avec le terme d’influence, très fortement teinté de passivité en français (on « reçoit » ou « subit » des influences), lequel risque d’être une formulation trop naïve ou idéaliste ce que fait, face à la musique existante,  celui qui veut en inventer à son tour : plus ou moins consciemment (et notamment par cette activité qu’on appelle « analyse »), il choisit ce qu’il veut conserver de ce qui l’entoure dans sa propre œuvre et de ce fait, constitue à un titre ou à un autre ces musiques comme modèles pour son travail. Ensuite, ces modèles seront plus ou moins audibles pour les autres, car il existe bien des aspects d’une œuvre au-delà de sa « surface sonore » la plus immédiatement perceptible, et car le compositeur peut travailler à tous les degrés d’intégration et d’enfouissement possibles. 

Faut-il citer quelques noms ? C’est le jeu habituel de cette question, qui ne peut être indépendant de l’image que l’on souhaite transmettre : le plus intéressant serait pourtant d’entendre le compositeur exprimer ce qu’il a retenu, ce qu’il réellement appris ou conservé de ces modèles, car les noms ne sont ici que des métonymies. Mais faute de place, je jouerai à ce jeu-là (pour ce qui concerne ma pièce créée au festival), en prenant même un certain plaisir à conserver l’aspect hétéroclite et passablement énigmatique de cette liste, à faire se côtoyer modèles audibles et ceux plus enfouis : Frescobaldi, Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Hanon (!), Fauré, Messiaen, Ligeti, Boulez, et plus proches de nous Philippe Boesmans, Helmut Lachenmann, Tristan Murail, Gérard Grisey, Michaël Levinas, Philippe Hurel, George Benjamin, mais aussi l’historien Patrick Boucheron, les écrivains Pierre Bayard et François-Henri Désérable, et le film « Smoking, No Smoking » d’Alain Resnais. 


Quelle formation à la composition avez-vous suivie ?



Je n’ai en fait jamais eu de professeur de composition. Bien sûr, je n’ai rien d’un autodidacte : en suivant des classes d’écriture, d’analyse, d’improvisation, d’orchestration, mais aussi d’instrument, j’ai rencontré des personnalités musicales admirables et très différentes, et j’ai acquis des outils, des manières de penser, des préoccupations aussi, que j’ai pu mettre au service d’une invention personnelle. Et je dois ajouter que j’ai énormément appris des interprètes avec lesquels j’ai eu la chance de travailler, mais aussi des deux instruments dont j’ai été successivement titulaire, à la cathédrale de Bourges et à la Trinité à Paris, bien au-delà de la seule musique pour orgue.  


Comment conciliez-vous votre activité d’interprète et celle de compositeur ?



Je crois pouvoir dire que, depuis un certain nombre d’années déjà, je ne joue que les œuvres dont j’ai la sensation qu’elles peuvent m’apprendre quelque chose,  dont j’admire l’accomplissement… en sachant qu’elles représentent un idéal inatteignable. C’est donc très différent de la vie d’un concertiste embrassant le répertoire tous azimut : plutôt un approfondissement, d’une ambition différente sûrement, mais qui, je crois, porte aussi des fruits.

Êtes-vous un compositeur-organiste ou un compositeur tout court ?



Cette expression « compositeur-organiste » est, si l’on s’y arrête,  lourde de présupposés informulés : elle désignerait une catégorie de musiciens vivant dans un monde un peu à part, dont la production resterait cantonnée ou enchaînée à un instrument certes respectable mais qui, dans le fond, ne compterait pas vraiment, n’attendrait pas un véritable accomplissement artistique. Elle sous-entendrait aussi qu’un compositeur au plein sens du terme serait celui qui transcenderait les instruments, considérés comme moyens, pour atteindre à ce qui serait « la musique elle-même ».  Vous vous doutez bien qu’il n’y a pas grand chose qui m’attire dans ces classifications…


Les personnalités des interprètes, en l’occurrence Anne Le Bozec et Flore Merlin, pour cette création, influencent-elles votre écriture ?



J’ai écouté Anne Le Bozec et Flore Merlin au festival l’an dernier, dans cette mémorable lecture de Saint François d’Assise qu’aucun des auditeurs présents n’oubliera… Je pense aussi à l’interprétation magnifique, profondément engagée, qu’a donnée Flore de Territoires de l’oubli de Tristan Murail, l’an dernier également. Ce sont évidemment des images sonores qui restent. Elles agissent souterrainement : pensant à elles en écrivant, les imaginant en action, ce sont ces moments-là que j’ai revécus et réentendus. 


L’œuvre qui sera créée, le dimanche 29 juillet prochain au festival Messiaen au pays de la Meije, s’intitule « Uchronies » : pouvez-vous l’expliquer ? 


L’uchronie consiste à réécrire l’Histoire à partir de la modification d’un événement, une sortie d’utopie dans le temps, et non dans l’espace, à partir d’un point de bifurcation. Que serait-il arrivé si Louis XVI n’avait pas été arrêté à Varennes? Si la pénicilline avait été découverte vingt ans plus tôt ? L’uchronie a même fini par devenir un genre littéraire mineur, illustré par Philip K. Dick ou Eric-Emmanuel Schmitt par exemple. Mais on peut aussi penser aux « livres dont vous êtes le héros » dont j’ai été un avide lecteur quand j’avais 10 ans.
On imagine bien que les historiens ont longtemps considéré ce genre de divagations avec mépris, n’y voyant qu’un jeu assez puéril. Pourtant, une nouvelle génération a plus récemment montré le profit à tirer d’une telle attitude consistant à faire émerger les voies que l’Histoire n’a pas empruntée : reconstituer l’incertitude que constitue toujours la projection vers le futur, mais aussi aider à répondre aux interrogations de notre monde contemporain sur l’imprévisible, l’inéluctable, et la force de l’événement qui fait basculer le cours du temps.  


Pouvez-vous commenter cette œuvre pour aider le public à la recevoir ?




Comment, pour le compositeur, donner à entendre différents devenirs (ou même différentes causes) d’une même idée musicale, au lieu que de n’en choisir qu’un seul ? Plutôt qu’une « œuvre ouverte », où l‘interprète aurait à choisir un parcours parmi différents possibles mais où l’auditeur n’en entendrait au final qu’une version, j’ai répondu à cette question en m’inspirant des œuvres de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècles qui regorgent d’inventions extraordinaires dans ce domaine, de points de bifurcation où la musique, revenue sur ses pas, prend d’autres chemins, ou bien retourne à sa situation initiale à partir de son plus extrême contraire. On entendra pour commencer la pièce des éléments musicaux et situations sonores très fortement contrastés, qui reviendront tous à un moment ou à un autre. Quand ? Pour aller où ? En venant d’où ? Voilà une interrogation qui peut, je pense, guider l’auditeur à la première écoute : j’ai tenté de lui ménager un parcours digne de son attention.












lundi 21 mai 2018

Interview de Camille Pepin, compositrice

La prochaine édition du festival Messiaen au Pays de la Meije, qui aura lieu du 27 juillet au 05 août 2018, a commandé plusieurs oeuvres à des compositeurs. Nous sommes partis à la rencontre de quelques uns d'entre eux afin de mieux les connaître ou de vous permettre de les découvrir.

Camille Pepin, une jeune compositrice française aux premières créations remarquées et récompensées, est la première à avoir accepté de répondre à nos questions. Elle évoque notamment l'oeuvre qu'elle a créée pour le festival Messiaen, qui sera jouée le 3 juillet 2018: Dancing Poem pour voix, violoncelle et piano. 


Copyright©Natacha Colmez-Collard

Née en 1990, Camille Pépin débute ses études musicales au Conservatoire à Rayonnement Régional d’Amiens. Elle intègre le Pôle Supérieur de Paris où elle étudie l’Arrangement avec Thibault Perrine, puis le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris où elle obtient cinq premiers prix : Orchestration, Analyse, Harmonie, Contrepoint, et Fugue & Formes.

Sa pièce d’orchestre Vajrayana remporte le Prix du Jury et le Coup de Cœur du public au Concours de Composition Île de Créations 2015. Créée à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre National d’Île de France sous la direction de Nicholas Collon, elle fait l’objet d’une émission Alla Breve sur France Musique. Camille obtient la même année le Grand Prix SACEM Musique Symphonique « jeune compositeur », qui lui est remis par Thierry Escaich lors de la cérémonie des Grands Prix Sacem aux Folies Bergères à Paris. Durant l'été 2016, le Festival Jeunes Talents à Paris lui commande une oeuvre en hommage à Henri Dutilleux (Sonnets) qui remporte le Prix du Public. Le festival programme également sa pièce Luna écrite tout spécialement pour l'Ensemble Polygones.   En 2017, Camille est compositrice invitée et première marraine du Festival Présences Féminines de Toulon qui lui commande deux oeuvres pour cette occasion :  Chamber Music sur des poèmes de James Joyce (Ensemble Polygones, la mezzo-soprano Fiona Mcgown et le chef d’orchestre Léo Margue) ; et Indra en hommage à Lili Boulanger pour Célia Oneto Bensaïd (piano) et Raphaëlle Moreau (violon). Elle est en résidence au Festival de l’Académie d’Aix-en-Provence en juillet 2017 pour la création de Lyrae, cocommande du festival et de Pro-quartet pour quatuor à cordes, harpe et percussions (Quartet Gerhard, Anaëlle Tourret, Dorian Selmi). Camille reçoit le Prix d'Encouragement Musique de l'Académie des Beaux-Arts en novembre 2017.

 Mettant un point d’honneur à la pratique de l’orchestration et de l’arrangement, Camille collabore sur divers projets en tant qu’orchestratrice.  En 2016 et 2017, elle  travaille également en collaboration avec le pianiste Issam Krimi et  l’Orchestre Philharmonique de Radio France sur le projet « Hip-Hop Symphonique » dirigé par Dina Gilbert pour lequel ils orchestrent des titres de Mc Solaar, BigFlo & Oli, IAM, Youssoupha, Les Sages Poètes de la Rue, Georgio, Gaêl Faye, Oxmo Puccino, Black M et Ärsenik.

Les oeuvres et orchestrations de Camille sont jouées par les ensembles les plus prestigieux (Orchestre National d’Île de France, Orchestre Colonne, Orchestre Philharmonique de Radio France, Orchestre National de Lyon, Orchestre de l’Opéra de Toulon, Orchestre de Picardie, Célia Oneto Bensaïd et Raphaëlle Moreau, Ensemble Polygones, Marie-Laure Garnier, Thibault Lepri, Anaëlle Tourret, Michel Supéra, Macha Belooussova, James Campbell, Sabine Meyer, Alliage Quintet etc…) et lors de nombreux festivals (Festival Présences, Festival Jeunes Talents à Paris, Festival de l’Académie d’Aix-en-Provence, Festival Présences Féminines, Festival Messiaen, Festival Jazz à Vienne,  Festival de Musique de Chambre de Giverny, Festival La Grange aux Pianos, Festival Europart à Bruxelles etc…)

Plusieurs autres oeuvres de Camille Pepin seront créées en France prochainement:  sa pièce d'orchestre La Source d'Yggdrasil sera créée par l'Orchestre Colonne sous la direction de Débora Waldman en juin (Aide à l’écriture d’une oeuvre musicale originale du Ministère de la Culture), Autumn Rhythm écrite pour le concours Long-Thibaud-Crespin pour violon et piano sera créée en novembre à l'Auditorium de Radio France. Camille est compositrice en résidence à l'Orchestre de Picardie pour l'année 2018. Elle sera également en résidence de musique de chambre au Festival Musique au bois à Creuse et au Musikstage de Mondsee en septembre 2018.

Camille est lauréate de la Fondation d’Entreprise de la Banque Populaire. Ses oeuvres sont éditées aux éditions Jobert et Durand-Salabert-Eschig.




Pouvez-vous définir en quelques mots votre activité de compositrice ? 


En quelques mots, c’est difficile mais écrire est pour moi un besoin vital et un véritable moyen d’expression. Il est parfois plus facile de s’exprimer avec des notes et des couleurs qu’avec des mots. C’est aussi un refuge et exutoire qui me permet parfois de lutter contre toutes les atrocités qui assaillent le monde.

Quelle formation de compositrice avec-vous suivie ?


Je n’ai jamais suivi de cours de composition à proprement parler car j’ai étudié l’Ecriture au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) avec Thierry Escaich, Pierre Pincemaille, Fabien Waksman ; l’analyse avec Claude Ledoux et l’Orchestration avec Marc-André Dalbavie. J’ai également étudié l’Orchestration au Conservatoire d’Aubervilliers avec Guillaume Connesson. J’ai ainsi pu bénéficier des conseils de ces compositeurs que j’admire sans toutefois être dans un cursus de composition. L’étude de partitions et aller aux concerts sont essentiels pour apprendre et se forger un style d’écriture personnel : c’est donc ainsi que j’ai toujours fonctionné et fonctionne toujours. Etudier les oeuvres des autres compositeurs - morts ou vivants - est une vraie source d’inspiration et de réflexion. Je pense que la composition s’apprend chaque jour et toute la vie durant. Les styles peuvent évoluer et je remarque déjà - malgré mon court catalogue - que ma musique n’est plus tout à fait la même aujourd’hui que dans mes premières compositions, et je l’espère en perpétuelle évolution dans les oeuvres futures ! L’orchestration est un paramètre très important dans ma démarche de composition.

Vous avec une activité d’arrangeur pour des artistes pop ou hip-hop : la concevez-vous comme une activité alimentaire ou choisissez-vous soigneusement les musiciens pour lesquels vous travaillez et selon quels critères ?


Arranger et orchestrer ne sont pas des activités alimentaires ! C’est une autre passion ! Je sélectionne de la même façon les projets d’orchestration que les commandes de créations et c’est toujours le coeur qui parle ! Orchestrer pour le Hip-Hop Symphonique a été très enrichissant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’orchestre est un véritable terrain de jeu et les possibilités de couleurs et d’alliages de timbres sont infinies. Cela m’a amenée à imaginer des textures auxquelles je n’aurais pas pensé autrement. Aussi, l’enjeu dans cette musique urbaine est un peu différent de la musique « classique ». Il faut à la fois respecter la musique originale, recréer acoustiquement les techniques de post-production sonores, tout en veillant aux équilibres entre le rappeur et l’orchestre et à la bonne compréhension du texte rappé. Un vrai défi ! 

Quelles influences musicales vous reconnaissez-vous ?


Je reconnais dans ma musique l’influence française des compositeurs comme Debussy et Dutilleux (et tout particulièrement leur orchestration), les musiques de ballets de Stravinsky et Tchaikovsky, les rythmes et couleurs modales de Bartok, ainsi que la musique répétitive de Steve Reich.



Quels sont vos compositeurs fétiches ?


Debussy, Dutilleux, Stravinsky, Ligeti, Bartok, et Reich !

Quelle est l’œuvre que vous avez composée dont vous êtes la plus fière ?


Je pense qu’il s’agit de Chamber Music pour mezzo-soprano et ensemble composée sur des poèmes de James Joyce. Il s’agit d’une commande écrite spécialement pour la merveilleuse Fiona McGown (qui créera les Dancing Poems également) et l’Ensemble Polygones.


Vous êtes invitée par le festival Messiaen au pays de la Meije : que représente pour vous Olivier Messiaen ?


Messiaen est un compositeur que j’aime particulièrement pour plusieurs raisons dans lesquelles je me reconnais parfois : son utilisation des rythmes hindous, la modalité, ses couleurs orchestrales, son inspiration de la nature… Mais au-delà de son talent de compositeur, nous lui devons aussi beaucoup pour son enseignement en tant que professeur d’analyse au CNSMDP ou encore par le biais de ses traités. Ses métiers d’organiste, de compositeur et de professeur ont fait de lui un véritable modèle pour les créateurs qui lui ont succédé ! J’ai étudié au CNSMDP dans les classes d’écriture de Thierry Escaich et de Pierre Pincemaille ainsi que dans la classe d’analyse, et sa « présence » est encore très forte !

La personnalité de vos interprètes, en l’occurrence, Fiona McGown et Anne Le Bozec influence-t-elle votre travail d’écriture ?



Absolument ! Le magnifique timbre de mezzo-soprano Fiona McGown et toutes ses possibilités de couleurs (suavité du grave, chaleur du médium, puissance dans l’aigu) m’ont beaucoup inspirées pour cette oeuvre. Aussi, Fiona a une diction anglo-saxonne merveilleuse et c’est pour cela que j’ai choisi de mettre en musique des poèmes américains et irlandais (Yeats, Carlos Williams et Eliot). C’était évident pour moi de mettre en musique la langue anglo-saxonne pour Fiona, qui en fait ressortir toute la musique des mots ! J’ai également imaginé des sonorités et des couleurs délicates qui s’articulent autour de la voix grâce aux jeux à la fois subtils et précis, mais aussi chaleureux et magnétiques de Yan Levionnois et d’Anne Le Bozec. Ecrire pour de tels interprètes est un réel plaisir, et aussi très inspirant ! J’ai beaucoup de chance.

L’œuvre qui sera créée, le lundi 30 juillet au festival Messiaen au pays de la Meije s’intitule « Dancing Poems » : pourquoi ce titre ?


Ce choix de poèmes autour de la danse m’est venu à la lecture de cette phrase du poète américain Ezra Pound dans son ABC of Reading : « Music begins to atrophy when it départs too far from the dance… Poetry begins to atrophy when it goes too far from music » (« La musique commence à s’atrophier lorsqu’elle s’éloigne trop de la danse…. La poésie commence à s’atrophier lorsqu’elle s’éloigne trop de la musique »). C’est cette phrase qui m’a inspirée pour les Dancing Poems. Véritablement pensée avec un rapport au corps, ma façon de concevoir le rythme est plus spontanée qu’intellectualisée et traduit ma fascination pour la danse. Pour moi, composer, c’est quelque part le point de rencontre entre la musique, la poésie et la danse.

 Pouvez-vous commenter cette œuvre pour aider sa découverte par le public du festival ?


Dancing Poems est un cycle de quatre mélodies d’après les poèmes At the Still-Point d’Eliot, Slow Movement de Carlos Williams, To a Child dancing in the Wind et Those dancing days are gone de Yeats. J’ai immédiatement imaginé le timbre magnifique de Fiona entremêlé à celui du violoncelle - instrument que j’affectionne particulièrement. Dans ce cycle pour mezzo-soprano, violoncelle et piano, les couleurs et les timbres se mélangent de manière à créer un halo sonore résonnant et flottant autour de ces trois instruments. Ce halo contribue à donner une ambiance intime et lumineuse, à retrouver ce point particulier de rencontre entre la musique, la danse et la poésie. Le cycle est également imprégné de rythmes répétitifs et dansants et les mélodies sont construites sur des formes simples utilisant des refrains. Cela confère à l’ensemble une couleur populaire, propre à l’expression de la danse.

mercredi 3 janvier 2018


En 1998 le premier Festival Messiaen est créé à La Grave ... … du 27 juillet au 5 août 2018, le Festival Messiaen au Pays de la Meije fêtera ses 20 ans sur le thème "La musique russe selon Messiaen".

Le programme complet de l'édition 2018 sera en ligne le 15 février 2018 sur le site : www.festival-messiaen.com



Tristan Murail vient d'être nominé aux Victoires de la Musique  2018 dans la catégorie "compositeur de l'année" pour la création mondiale de "Sogni, Ombre et fuomi" au Festival Messiaen au pays de la Meije, le mercredi 26 juillet 2017, dans l'église du Monêtierles-Bains (Hautes-Alpes).