Son oeuvre Uchronies pour deux pianos, sera créée le 29 juillet à l'église de La grave. Il participera également au colloque le samedi 04 août, intitulé "La technique de l'emprunt".
Vous pouvez retrouver le programme complet du concert, ainsi que la réservation des places en cliquant sur ce lien.
Ainsi que le programme du colloque auquel il participera en cliquant sur ce lien.
Né en 1982, il a été formé aux Conservatoires de Poitiers, Saint-Maur-des-Fossés, puis au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSM), où il obtient cinq premiers prix
mention très bien entre 2002 et 2006, et un Diplôme de Formation Supérieure mention recherche-création-composition. Il aura été l'élève des personnalités aussi diverses qu'Eric
Lebrun, Louis Robilliard, Olivier Latry, Philippe Lefebvre, Jean-François Zygel, Michaël Levinas ou
Marc-André Dalbavie. Il est titulaire du grand orgue de l’église de la Trinité,
tribune qui fut pendant plusieurs décennies celle d'Olivier Messiaen. En 2014 il a été nommé professeur d’analyse
musicale au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, où il fut pendant 6 ans l’assistant de Michaël Levinas. Il enseigne l'analyse et l'écriture au Conservatoire à Rayonnement Régional
d'Aubervilliers-La Courneuve ainsi qu'au Pôle Supérieur 93, également. Ses activités musicales multiples associent composition, improvisation,
interprétation, pédagogie et recherche. En tant qu'organiste il se produit dans le monde entier.
Son activité de compositeur prend aujourd'hui une importance croissante : l'orgue y occupe une place de choix, ainsi que la musique vocale. Il répond à
des commandes de Radio-France, du Festival de Feldkirch (Autriche), de Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris, mais aussi de plusieurs conservatoires. Ses oeuvres sont interprétées notamment par les
organistes Ghislain Leroy, Tobias Willi, Martin Tembremande, Angèle Dionnau, Yoann Tardivel, Pascale Rouet, Francesco Filidei, les saxophonistes Lars Mlekusch et Antonio Mollica, l'ensemble Vocal
Aedes (direction Mathieu Romano), la Maîtrise de Notre-Dame de Paris (direction Lionel Sow).
En 2012, Thomas Lacôte reçoit le Prix Simone et Cino Del Duca de L’académie des
Beaux-Arts-Institut de France.
Avec les musicologues Y. Balmer et C. Murray, Thomas Lacôte mène
depuis plusieurs années un important travail de recherche sur l’œuvre d’Olivier Messiaen, conduisant à la rédaction d’un ouvrage aux éditions Symétrie : Le modèle et l’invention : Olivier Messiaen et la technique de l’emprunt, 2017,
récompensé par le Prix spécial du jury France Musique des Muses, et à la publication de plusieurs articles
dans des revues internationales (XXth Century Music, Journal of the American Musicological Society).
Son carnet de recherche en ligne, "Phtoggos", relie ses différentes activités au sein
d'une même démarche de recherche et de création en musique.
Thomas Lacôte a donné plusieurs conférences lors d'éditions précédentes du festival Messiaen au pays de la Meije.
Compositeur, organiste à la Trinité et professeur d’analyse au Conservatoire de Paris, votre parcours s’inscrit dans celui d’Olivier Messiaen : cela vous confère-t-il une responsabilité particulière ?
La
responsabilité de telles fonctions, c’est d’abord celle d’imaginer, de faire,
de construire ! Je crois que s’arrêter à quelques « titres » serait
une illusion d’optique. On oublie d’ailleurs que le jeune Messiaen, organiste à
la Trinité, succédait à un organiste, compositeur, chercheur, au prestige
immense en son temps : Alexandre Guilmant. S’il y a une leçon à retenir,
c’est d’abord, il me semble, qu’il a eu l’audace et la force d’imaginer autre
chose, avec une grande exigence personnelle et la plus haute conception de la
valeur de la musique.
Justement, que représente pour vous, compositeur d’aujourd’hui, l’œuvre d’Olivier Messiaen ?
Il
m’est bien difficile de vous répondre en quelques lignes, notamment car j’ai
écrit avec mes deux camarades Yves Balmer et Christopher Murray un livre de quelques
600 pages sur l’artisanat de composition de Messiaen, qui fera d’ailleurs
l’objet d’une journée d’études dans le cadre du festival. Il s’agit donc pour
moi d’un long compagnonnage avec son œuvre depuis mes années d’adolescence. Peut-être
même fallait-il, pour que mes fonctions d’organiste à la Trinité ne reviennent
pas à devenir gardien d’un musée, me construire une relation particulière avec
l’œuvre de Messiaen, au sens d’y distinguer des dimensions nouvelles, apporter
une pierre à l’édifice de sa compréhension : c’est ce que nous avons tenté
de faire collectivement dans ce livre, et que je poursuis sur mon propre
chemin. Je pense aussi à l’exploration en cours du fonds Messiaen de la
Bibliothèque nationale de France, exceptionnelle source pour une nouvelle
réception de sa production, pour les musicologues mais aussi les interprètes et
les créateurs. Probablement sommes-nous au début d’un nouvel « effet
Messiaen » : comme toute grande œuvre, elle parle différemment à
chaque nouvelle génération.
Quelles influences musicales vous reconnaissez-vous?
Faut-il
citer quelques noms ? C’est le jeu habituel de cette question, qui ne peut
être indépendant de l’image que l’on souhaite transmettre : le plus
intéressant serait pourtant d’entendre le compositeur exprimer ce qu’il a
retenu, ce qu’il réellement appris ou conservé de ces modèles, car les noms ne
sont ici que des métonymies. Mais faute de place, je jouerai à ce jeu-là (pour
ce qui concerne ma pièce créée au festival), en prenant même un certain plaisir
à conserver l’aspect hétéroclite et passablement énigmatique de cette liste, à
faire se côtoyer modèles audibles et ceux plus enfouis : Frescobaldi, Mozart,
Beethoven, Mendelssohn, Hanon (!), Fauré, Messiaen, Ligeti, Boulez, et plus
proches de nous Philippe Boesmans, Helmut Lachenmann, Tristan Murail, Gérard
Grisey, Michaël Levinas, Philippe Hurel, George Benjamin, mais aussi l’historien
Patrick Boucheron, les écrivains Pierre Bayard et François-Henri Désérable, et
le film « Smoking, No Smoking » d’Alain Resnais.
Quelle formation à la composition avez-vous suivie ?
Je
n’ai en fait jamais eu de professeur de composition. Bien sûr, je n’ai rien
d’un autodidacte : en suivant des classes d’écriture, d’analyse,
d’improvisation, d’orchestration, mais aussi d’instrument, j’ai rencontré des
personnalités musicales admirables et très différentes, et j’ai acquis des
outils, des manières de penser, des préoccupations aussi, que j’ai pu mettre au
service d’une invention personnelle. Et je dois ajouter que j’ai énormément appris
des interprètes avec lesquels j’ai eu la chance de travailler, mais aussi des
deux instruments dont j’ai été successivement titulaire, à la cathédrale de Bourges
et à la Trinité à Paris, bien au-delà de la seule musique pour orgue.
Comment conciliez-vous votre activité d’interprète et celle de compositeur ?
Je
crois pouvoir dire que, depuis un certain nombre d’années déjà, je ne joue que
les œuvres dont j’ai la sensation qu’elles peuvent m’apprendre quelque chose, dont j’admire l’accomplissement… en sachant
qu’elles représentent un idéal inatteignable. C’est donc très différent de la vie
d’un concertiste embrassant le répertoire tous azimut : plutôt un
approfondissement, d’une ambition différente sûrement, mais qui, je crois,
porte aussi des fruits.
Êtes-vous un compositeur-organiste ou un compositeur tout court ?
Cette
expression « compositeur-organiste » est, si l’on s’y arrête, lourde de présupposés informulés : elle
désignerait une catégorie de musiciens vivant dans un monde un peu à part, dont
la production resterait cantonnée ou enchaînée à un instrument certes
respectable mais qui, dans le fond, ne compterait pas vraiment, n’attendrait
pas un véritable accomplissement artistique. Elle sous-entendrait aussi qu’un
compositeur au plein sens du terme serait celui qui transcenderait les
instruments, considérés comme moyens, pour atteindre à ce qui serait « la
musique elle-même ». Vous vous doutez
bien qu’il n’y a pas grand chose qui m’attire dans ces classifications…
Les personnalités des interprètes, en l’occurrence Anne Le Bozec et Flore Merlin, pour cette création, influencent-elles votre écriture ?
J’ai écouté Anne Le Bozec et Flore Merlin au festival l’an dernier, dans cette mémorable lecture de Saint François d’Assise qu’aucun des auditeurs présents n’oubliera… Je pense aussi à l’interprétation magnifique, profondément engagée, qu’a donnée Flore de Territoires de l’oubli de Tristan Murail, l’an dernier également. Ce sont évidemment des images sonores qui restent. Elles agissent souterrainement : pensant à elles en écrivant, les imaginant en action, ce sont ces moments-là que j’ai revécus et réentendus.
L’œuvre qui sera créée, le dimanche 29 juillet prochain au festival Messiaen au pays de la Meije, s’intitule « Uchronies » : pouvez-vous l’expliquer ?
L’uchronie
consiste à réécrire l’Histoire à partir de la modification d’un événement, une
sortie d’utopie dans le temps, et non dans l’espace, à partir d’un point de
bifurcation. Que serait-il arrivé si Louis XVI n’avait pas été arrêté à
Varennes? Si la pénicilline avait été découverte vingt ans plus tôt ? L’uchronie
a même fini par devenir un genre littéraire mineur, illustré par Philip K. Dick
ou Eric-Emmanuel Schmitt par exemple. Mais on peut aussi penser aux
« livres dont vous êtes le héros » dont j’ai été un avide lecteur
quand j’avais 10 ans.
On
imagine bien que les historiens ont longtemps considéré ce genre de divagations
avec mépris, n’y voyant qu’un jeu assez puéril. Pourtant, une nouvelle
génération a plus récemment montré le profit à tirer d’une telle attitude
consistant à faire émerger les voies que l’Histoire n’a pas empruntée : reconstituer
l’incertitude que constitue toujours la projection vers le futur, mais aussi
aider à répondre aux interrogations de notre monde contemporain sur l’imprévisible,
l’inéluctable, et la force de l’événement qui fait basculer le cours du temps.
Pouvez-vous commenter cette œuvre pour aider le public à la recevoir ?
Comment,
pour le compositeur, donner à entendre différents devenirs (ou même différentes
causes) d’une même idée musicale, au lieu que de n’en choisir qu’un seul ?
Plutôt qu’une « œuvre ouverte », où l‘interprète aurait à choisir un
parcours parmi différents possibles mais où l’auditeur n’en entendrait au final
qu’une version, j’ai répondu à cette question en m’inspirant des œuvres de la
fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècles qui regorgent d’inventions
extraordinaires dans ce domaine, de points de bifurcation où la musique,
revenue sur ses pas, prend d’autres chemins, ou bien retourne à sa situation
initiale à partir de son plus extrême contraire. On entendra pour commencer la
pièce des éléments musicaux et situations sonores très fortement contrastés,
qui reviendront tous à un moment ou à un autre. Quand ? Pour aller
où ? En venant d’où ? Voilà une interrogation qui peut, je pense, guider
l’auditeur à la première écoute : j’ai tenté de lui ménager un parcours
digne de son attention.