lundi 21 mai 2018

Interview de Camille Pepin, compositrice

La prochaine édition du festival Messiaen au Pays de la Meije, qui aura lieu du 27 juillet au 05 août 2018, a commandé plusieurs oeuvres à des compositeurs. Nous sommes partis à la rencontre de quelques uns d'entre eux afin de mieux les connaître ou de vous permettre de les découvrir.

Camille Pepin, une jeune compositrice française aux premières créations remarquées et récompensées, est la première à avoir accepté de répondre à nos questions. Elle évoque notamment l'oeuvre qu'elle a créée pour le festival Messiaen, qui sera jouée le 3 juillet 2018: Dancing Poem pour voix, violoncelle et piano. 


Copyright©Natacha Colmez-Collard

Née en 1990, Camille Pépin débute ses études musicales au Conservatoire à Rayonnement Régional d’Amiens. Elle intègre le Pôle Supérieur de Paris où elle étudie l’Arrangement avec Thibault Perrine, puis le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris où elle obtient cinq premiers prix : Orchestration, Analyse, Harmonie, Contrepoint, et Fugue & Formes.

Sa pièce d’orchestre Vajrayana remporte le Prix du Jury et le Coup de Cœur du public au Concours de Composition Île de Créations 2015. Créée à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre National d’Île de France sous la direction de Nicholas Collon, elle fait l’objet d’une émission Alla Breve sur France Musique. Camille obtient la même année le Grand Prix SACEM Musique Symphonique « jeune compositeur », qui lui est remis par Thierry Escaich lors de la cérémonie des Grands Prix Sacem aux Folies Bergères à Paris. Durant l'été 2016, le Festival Jeunes Talents à Paris lui commande une oeuvre en hommage à Henri Dutilleux (Sonnets) qui remporte le Prix du Public. Le festival programme également sa pièce Luna écrite tout spécialement pour l'Ensemble Polygones.   En 2017, Camille est compositrice invitée et première marraine du Festival Présences Féminines de Toulon qui lui commande deux oeuvres pour cette occasion :  Chamber Music sur des poèmes de James Joyce (Ensemble Polygones, la mezzo-soprano Fiona Mcgown et le chef d’orchestre Léo Margue) ; et Indra en hommage à Lili Boulanger pour Célia Oneto Bensaïd (piano) et Raphaëlle Moreau (violon). Elle est en résidence au Festival de l’Académie d’Aix-en-Provence en juillet 2017 pour la création de Lyrae, cocommande du festival et de Pro-quartet pour quatuor à cordes, harpe et percussions (Quartet Gerhard, Anaëlle Tourret, Dorian Selmi). Camille reçoit le Prix d'Encouragement Musique de l'Académie des Beaux-Arts en novembre 2017.

 Mettant un point d’honneur à la pratique de l’orchestration et de l’arrangement, Camille collabore sur divers projets en tant qu’orchestratrice.  En 2016 et 2017, elle  travaille également en collaboration avec le pianiste Issam Krimi et  l’Orchestre Philharmonique de Radio France sur le projet « Hip-Hop Symphonique » dirigé par Dina Gilbert pour lequel ils orchestrent des titres de Mc Solaar, BigFlo & Oli, IAM, Youssoupha, Les Sages Poètes de la Rue, Georgio, Gaêl Faye, Oxmo Puccino, Black M et Ärsenik.

Les oeuvres et orchestrations de Camille sont jouées par les ensembles les plus prestigieux (Orchestre National d’Île de France, Orchestre Colonne, Orchestre Philharmonique de Radio France, Orchestre National de Lyon, Orchestre de l’Opéra de Toulon, Orchestre de Picardie, Célia Oneto Bensaïd et Raphaëlle Moreau, Ensemble Polygones, Marie-Laure Garnier, Thibault Lepri, Anaëlle Tourret, Michel Supéra, Macha Belooussova, James Campbell, Sabine Meyer, Alliage Quintet etc…) et lors de nombreux festivals (Festival Présences, Festival Jeunes Talents à Paris, Festival de l’Académie d’Aix-en-Provence, Festival Présences Féminines, Festival Messiaen, Festival Jazz à Vienne,  Festival de Musique de Chambre de Giverny, Festival La Grange aux Pianos, Festival Europart à Bruxelles etc…)

Plusieurs autres oeuvres de Camille Pepin seront créées en France prochainement:  sa pièce d'orchestre La Source d'Yggdrasil sera créée par l'Orchestre Colonne sous la direction de Débora Waldman en juin (Aide à l’écriture d’une oeuvre musicale originale du Ministère de la Culture), Autumn Rhythm écrite pour le concours Long-Thibaud-Crespin pour violon et piano sera créée en novembre à l'Auditorium de Radio France. Camille est compositrice en résidence à l'Orchestre de Picardie pour l'année 2018. Elle sera également en résidence de musique de chambre au Festival Musique au bois à Creuse et au Musikstage de Mondsee en septembre 2018.

Camille est lauréate de la Fondation d’Entreprise de la Banque Populaire. Ses oeuvres sont éditées aux éditions Jobert et Durand-Salabert-Eschig.




Pouvez-vous définir en quelques mots votre activité de compositrice ? 


En quelques mots, c’est difficile mais écrire est pour moi un besoin vital et un véritable moyen d’expression. Il est parfois plus facile de s’exprimer avec des notes et des couleurs qu’avec des mots. C’est aussi un refuge et exutoire qui me permet parfois de lutter contre toutes les atrocités qui assaillent le monde.

Quelle formation de compositrice avec-vous suivie ?


Je n’ai jamais suivi de cours de composition à proprement parler car j’ai étudié l’Ecriture au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) avec Thierry Escaich, Pierre Pincemaille, Fabien Waksman ; l’analyse avec Claude Ledoux et l’Orchestration avec Marc-André Dalbavie. J’ai également étudié l’Orchestration au Conservatoire d’Aubervilliers avec Guillaume Connesson. J’ai ainsi pu bénéficier des conseils de ces compositeurs que j’admire sans toutefois être dans un cursus de composition. L’étude de partitions et aller aux concerts sont essentiels pour apprendre et se forger un style d’écriture personnel : c’est donc ainsi que j’ai toujours fonctionné et fonctionne toujours. Etudier les oeuvres des autres compositeurs - morts ou vivants - est une vraie source d’inspiration et de réflexion. Je pense que la composition s’apprend chaque jour et toute la vie durant. Les styles peuvent évoluer et je remarque déjà - malgré mon court catalogue - que ma musique n’est plus tout à fait la même aujourd’hui que dans mes premières compositions, et je l’espère en perpétuelle évolution dans les oeuvres futures ! L’orchestration est un paramètre très important dans ma démarche de composition.

Vous avec une activité d’arrangeur pour des artistes pop ou hip-hop : la concevez-vous comme une activité alimentaire ou choisissez-vous soigneusement les musiciens pour lesquels vous travaillez et selon quels critères ?


Arranger et orchestrer ne sont pas des activités alimentaires ! C’est une autre passion ! Je sélectionne de la même façon les projets d’orchestration que les commandes de créations et c’est toujours le coeur qui parle ! Orchestrer pour le Hip-Hop Symphonique a été très enrichissant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’orchestre est un véritable terrain de jeu et les possibilités de couleurs et d’alliages de timbres sont infinies. Cela m’a amenée à imaginer des textures auxquelles je n’aurais pas pensé autrement. Aussi, l’enjeu dans cette musique urbaine est un peu différent de la musique « classique ». Il faut à la fois respecter la musique originale, recréer acoustiquement les techniques de post-production sonores, tout en veillant aux équilibres entre le rappeur et l’orchestre et à la bonne compréhension du texte rappé. Un vrai défi ! 

Quelles influences musicales vous reconnaissez-vous ?


Je reconnais dans ma musique l’influence française des compositeurs comme Debussy et Dutilleux (et tout particulièrement leur orchestration), les musiques de ballets de Stravinsky et Tchaikovsky, les rythmes et couleurs modales de Bartok, ainsi que la musique répétitive de Steve Reich.



Quels sont vos compositeurs fétiches ?


Debussy, Dutilleux, Stravinsky, Ligeti, Bartok, et Reich !

Quelle est l’œuvre que vous avez composée dont vous êtes la plus fière ?


Je pense qu’il s’agit de Chamber Music pour mezzo-soprano et ensemble composée sur des poèmes de James Joyce. Il s’agit d’une commande écrite spécialement pour la merveilleuse Fiona McGown (qui créera les Dancing Poems également) et l’Ensemble Polygones.


Vous êtes invitée par le festival Messiaen au pays de la Meije : que représente pour vous Olivier Messiaen ?


Messiaen est un compositeur que j’aime particulièrement pour plusieurs raisons dans lesquelles je me reconnais parfois : son utilisation des rythmes hindous, la modalité, ses couleurs orchestrales, son inspiration de la nature… Mais au-delà de son talent de compositeur, nous lui devons aussi beaucoup pour son enseignement en tant que professeur d’analyse au CNSMDP ou encore par le biais de ses traités. Ses métiers d’organiste, de compositeur et de professeur ont fait de lui un véritable modèle pour les créateurs qui lui ont succédé ! J’ai étudié au CNSMDP dans les classes d’écriture de Thierry Escaich et de Pierre Pincemaille ainsi que dans la classe d’analyse, et sa « présence » est encore très forte !

La personnalité de vos interprètes, en l’occurrence, Fiona McGown et Anne Le Bozec influence-t-elle votre travail d’écriture ?



Absolument ! Le magnifique timbre de mezzo-soprano Fiona McGown et toutes ses possibilités de couleurs (suavité du grave, chaleur du médium, puissance dans l’aigu) m’ont beaucoup inspirées pour cette oeuvre. Aussi, Fiona a une diction anglo-saxonne merveilleuse et c’est pour cela que j’ai choisi de mettre en musique des poèmes américains et irlandais (Yeats, Carlos Williams et Eliot). C’était évident pour moi de mettre en musique la langue anglo-saxonne pour Fiona, qui en fait ressortir toute la musique des mots ! J’ai également imaginé des sonorités et des couleurs délicates qui s’articulent autour de la voix grâce aux jeux à la fois subtils et précis, mais aussi chaleureux et magnétiques de Yan Levionnois et d’Anne Le Bozec. Ecrire pour de tels interprètes est un réel plaisir, et aussi très inspirant ! J’ai beaucoup de chance.

L’œuvre qui sera créée, le lundi 30 juillet au festival Messiaen au pays de la Meije s’intitule « Dancing Poems » : pourquoi ce titre ?


Ce choix de poèmes autour de la danse m’est venu à la lecture de cette phrase du poète américain Ezra Pound dans son ABC of Reading : « Music begins to atrophy when it départs too far from the dance… Poetry begins to atrophy when it goes too far from music » (« La musique commence à s’atrophier lorsqu’elle s’éloigne trop de la danse…. La poésie commence à s’atrophier lorsqu’elle s’éloigne trop de la musique »). C’est cette phrase qui m’a inspirée pour les Dancing Poems. Véritablement pensée avec un rapport au corps, ma façon de concevoir le rythme est plus spontanée qu’intellectualisée et traduit ma fascination pour la danse. Pour moi, composer, c’est quelque part le point de rencontre entre la musique, la poésie et la danse.

 Pouvez-vous commenter cette œuvre pour aider sa découverte par le public du festival ?


Dancing Poems est un cycle de quatre mélodies d’après les poèmes At the Still-Point d’Eliot, Slow Movement de Carlos Williams, To a Child dancing in the Wind et Those dancing days are gone de Yeats. J’ai immédiatement imaginé le timbre magnifique de Fiona entremêlé à celui du violoncelle - instrument que j’affectionne particulièrement. Dans ce cycle pour mezzo-soprano, violoncelle et piano, les couleurs et les timbres se mélangent de manière à créer un halo sonore résonnant et flottant autour de ces trois instruments. Ce halo contribue à donner une ambiance intime et lumineuse, à retrouver ce point particulier de rencontre entre la musique, la danse et la poésie. Le cycle est également imprégné de rythmes répétitifs et dansants et les mélodies sont construites sur des formes simples utilisant des refrains. Cela confère à l’ensemble une couleur populaire, propre à l’expression de la danse.

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