dimanche 18 mai 2014

Une interview... Marie Vermeulin



Festival Messiaen:
     Pourriez-vous nous décrire votre parcours musical depuis votre entrée au conservatoire à rayonnement régional de Boulogne jusqu'à aujourd’hui ?

Marie Vermeulin: 
     Un parcours musical se définit autant par l'artiste lui-même que par l'enseignement qu'il reçoit, surtout jeune. J'ai eu la chance d'être formée par de grands pédagogues français, comme Marie-Paule Siruguet, Hortense Cartier-Bresson et Roger Muraro pour finir. Ma rencontre avec Lazar Berman à également été décisive dans mon choix de me consacrer à une vie musicale. Cette formation à été complétée par quelques concours internationaux -dont je garde de bons souvenirs, car ils incitent à un dépassement de soi-même, une meilleure connaissance de nos possibilités ou limites- et surtout par l'enchainement de concerts, l'expérience de la scène, c’est-à-dire du partage de la musique avec un public.

Festival Messiaen:
     Vous avez été récompensée au Concours Olivier Messiaen en 2007, quelle influence ce dernier exerce t-il sur votre musique ?

Marie Vermeulin:
   La musique d'Olivier Messiaen constitue un outil particulièrement bénéfique pour les pianistes, pour de multiples raisons. La liste est longue: en premier je citerai l'approfondissement du travail sur les couleurs, le jeu des sonorités, que l'on peut aussi explorer chez Debussy par exemple. Ensuite, il y a tout le travail rythmique cher à Messiaen, qui nous permet d'aborder certaines œuvres contemporaines avec plus d'assurance (!), la construction de l'oeuvre , jamais anodine, que l'on ne comprend bien souvent dans son ensemble que le lendemain d'un concert (!) ,et bien d'autres choses encore, comme la richesse du langage harmonique, ou encore l’originalité de l’écriture pianistique, qui nous incite à chercher sans cesse une interprétation nouvelle, attitude que l'on devrait toujours avoir , même devant un nocturne de Chopin!

Festival Messiaen: 
     Vous qui avez jouée dans de grandes salles françaises et qui êtes aussi présente sur la scène internationale, quelle importance accordez-vous au Festival Messiaen ?

Marie Vermeulin:
     Il fait partie des festivals français de grande envergure, dont la renommée internationale semble croître chaque année. Ceci est sans doute du à une programmation intelligemment faite, qui fait découvrir au public des pièces audacieuses et novatrices, en les mariant avec des œuvres complémentaires qui sauront les mettre en valeur. Le décor du festival contribue aussi à son succès : les émotions se créent déjà avant le concert, lorsque l’on contemple ces montagnes immenses qui enveloppent le village de La Grave !

Festival Messiaen: 
     Pourriez-vous nous parler de l'oeuvre que vous interprétez pour la première fois dans son intégralité au festival Messiaen, « Vingt Regards sur l'Enfant Jésus » ?

Marie Vermeulin:
     Il s'agit d'un véritable monument pianistique, composé en 1944, aux côtés de plusieurs autres chefs-d’œuvre de Messiaen, tel le Quatuor pour la fin du Temps, les Visions de l’Amen, les Trois petites liturgies de la présence divine, Harawi ou encore la Turangalîla-Symphonie.
En tant qu’interprète, c’est une œuvre que l'on ne peut aborder que par étapes, en jouant d'abord les Regards les plus difficiles (je pense notamment au 6ème ou au 10ème), puis en programmant plusieurs Regards à la suite pour commencer à ressentir l'immense spiritualité de l'oeuvre, et pour finir, en la jouant dans on intégralité. Dans le travail, c'est pareil, au-delà de la recherche que l'on effectue sur chaque pièce individuellement, il faut croiser les Regards entre eux, pour entendre les échos qui se créent d'une pièce à l'autre, les thèmes qui sont repris sous différentes formes, et comprendre vraiment la construction globale de l'oeuvre. Quant à tout ce qu'il s'en dégage.... Je vous laisse le découvrir le 29 juillet!

Festival Messiaen: 
     Durant votre carrière, y a-t-il un compositeur, artiste, interprète qui vous a influencé ou qui a suscité votre intérêt ?

Marie Vermeulin: 
     Certes oui, je pars du principe qu'assister à un concert d'un grand pianiste apprend autant que de longues heures passées au piano! De même, certaines expositions ou pièces de théâtre, ouvrent l'esprit et bien souvent sont source d'inspiration pour un pianiste! Quant aux compositeurs qui ont influencé mon jeu, ils sont nombreux: Schubert, Mozart, Debussy, Ravel, Moussorgski, Stravinsky, Boulez, Bach, Liszt, Chopin, et bien d'autres...

jeudi 15 mai 2014

Une interview... Bruno Mantovani


Festival Messiaen:
     Pourriez-vous nous décrire votre parcours musical depuis votre entrée au CNSMDP en tant qu’élève en 1993 jusqu’à votre prise de fonction de ce même établissement en 2010 ?

Bruno Mantovani:
     J’ai eu un parcours assez varié qui était axé à la fois sur la création et l’écriture, compositions et toutes les disciplines de la plume mais aussi beaucoup sur la musicologie qui a une importance capitale pour moi, l’histoire de la musique.
Il s’agit d’un parcours à la fois de compositeur et de chercheur. C’est une chose qui m’a beaucoup nourri puisqu’ à la sortie du Conservatoire en 2000, j’ai essayé d’aborder des genres différents, le quatuor à cordes, l’opéra, l’orchestre, quasiment tous les genres de musique et ayant étudié ces genres de façon théorique et analytique, j’ai eu envie de les investir avec mon propre langage.
J’ai poursuivi mes études de 1993 à 2000, puis j’ai passé dix ans de ma vie à beaucoup composer dans tous les genres que je viens d’évoquer et aussi j’ai commencé à diriger notamment des ensembles de musique contemporaine et des orchestres ; c’est une activité qui s’est plutôt intensifiée pendant les quatre ou cinq dernières années. Justement un compositeur, c’est un musicien qui a appris à travailler avec des instrumentistes, des chefs d’orchestre, des chanteurs, des musicologues, des ingénieurs du son et le fait d’avoir eu à faire à tous les métiers de la musique, ça a facilité le fait que je prenne la direction du Conservatoire en 2010.

Festival Messiaen: 
     Depuis 2010 comment arrivez-vous à concilier votre responsabilité au Conservatoire et votre activité de compositeur ?

Bruno Mantovani:
     Et bien en dormant peu (rire), en prenant peu de vacances. Je suis au bureau ce samedi matin ! Après c’est une question de rapport intime, la nécessité vitale est la composition mais aussi la direction d’orchestre et le Conservatoire est devenu une nécessité vitale car c’est quelque chose de véritablement exaltant de travailler sur la transmission et sur l’organisation de la transmission. Je pense maintenant que je m’ennuierai si je n’exerçais que l’une de ces trois activités puisqu’elles se nourrissent mutuellement. Ce n’est pas de tout repos mais on verra quand je serais vieux (rire).

Festival Messiaen:
     Pourquoi avez-vous créé en 2011 le DAI “Répertoire contemporain et créations” ?

Bruno Mantovani:
     Justement parce que je pense que la musique contemporaine a totalement dirigé le Conservatoire depuis très longtemps, on a toujours consacré une partie de l’enseignement au répertoire d’aujourd’hui mais je voulais qu’il y ait un flash, un focus plus précisément sur cette pratique, qui n’est d’ailleurs pas forcément internationalement répandue, il y a d’excellentes maisons dans lesquelles on trouve peu de musique de notre temps. Je souhaitais qu’il y ait cette spécialisation qui puisse aussi être une forme de travail sur l’insertion c’est pour cela d’ailleurs que le partenariat entre DAI et le festival Messiaen est importante parce qu’il y a cette possibilité pour les élèves ayant envie de travailler sur ce répertoire d’être confronté à des scènes à des publics du monde professionnel.

Festival Messiaen: 
     Qu’attendez-vous du partenariat mis en œuvre  depuis 2012 entre cette classe de DAI et le festival Messiaen ?

Bruno Mantovani:
     On ne sait jamais à l’avance ce que l’on va pouvoir proposer parce que tout dépend des élèves qui rentrent dans ce cursus. Néanmoins le festival a des thématiques chaque année et nous sommes obligés de mettre en place une réflexion pour sa propre programmation et de nous adapter avec les instrumentistes dont on dispose. Le festival est quelque chose qui se passe à la fois de façon très logique mais aussi très informelle et très amicale.  

Festival Messiaen: 
     Comment s’établit le choix des œuvres  interprétées au festival Messiaen par les étudiants du DAI ?

Bruno Mantovani:
     On  a voulu, cette année, les regrouper en petit ensemble que je dirigerais pour qu’eux aussi aient cette notion non pas uniquement de soliste mais aussi de pratique collective Après le choix se fait entre les interprètes et Gaëtan Puaud évidemment !

Festival Messiaen:
     Pour vous que représente le personnage d’Olivier Messiaen dans l’univers de la musique classique contemporaine ?

Bruno Mantovani:
     D’abord et avant tout je dirais le grand musicien qu’il était avec sa capacité à créer un langage extrêmement personnel et reconnaissable et des œuvres emblématiques de la musique Française et de la musique moderne. Messiaen est une figure importante du Conservatoire que je dirige et ou j’ai été élève puisque Messiaen a été un pédagogue hors pair. Mes  propres professeurs, que cela soit en analyse ou en composition, étaient des élèves de Messiaen. Il n’y a pas eu de rapport direct parce que je suis un peu plus jeune pour avoir connu Messiaen mais j’ai eu cette chance d’avoir eu ces professeurs, ces maîtres qui eux avaient eu un accès direct à Messiaen.

Festival Messiaen: 
     La musique de Messiaen vous inspire-t-elle dans votre travail de compositeur ?

Bruno Mantovani: 
     Pas forcément, pas de façon épigonale ou d’influence prévisible mais bien sûr qu’il y a cette culture française et cette langue qui est commune mais je ne pense pas, c’est assez difficile de vous répondre, peut être qu’un étranger vous dirait avec un recul suffisant qu’il y a une couleur commune. Cela reste de toute façon une figure très importante pour tout musicien d’aujourd’hui.

Festival Messaien: 
     A côté de Messiaen,  y-a-t-il un compositeur qui vous ait influencé et été une source d’inspiration privilégiée pour vous ?

Bruno Mantovani:
     Il y en a beaucoup ! Je n’ai pas non plus l’impression d’être un épigone de Boulez mais c’est vrai que sa personnalité est très importante pour moi en tant que musicien et en tant que personne ayant des responsabilités, qui a été très polyvalent, l’écriture, la direction d’orchestre, la direction d’institution. C’est vrai qu’il est peut être une forme de modèle ! Après,  est-ce que ma musique est Boulézienne, je ne le pense pas ! De loin sûrement car il a été une figure fondamentale pour moi. Mais comme Berio pourrait l’être aussi, mais il est moins connu mais ces sources d’inspiration n’ont pas besoin d’être mondialement connues pour être une forme d’influence. Vous savez nous ne sommes plus dans une époque où on a des styles identifiés. On a plutôt des choses très synthétiques donc ça serait une synthèse de beaucoup de personnes.


lundi 12 mai 2014

Une interview... Roland Hayrabedian


Festival Messiaen:
     Parmi les nombreuses formations orchestrales et vocales, que vous avez dirigées, quel moment reste le plus fort ?

Roland Hayrabedian:
     Je parlerai des œuvres qui m’ont marquées et qui continuent de me marquer plutôt que des formations. La formation que j’ai toujours préférée c’est Musicatreize.
Mais j’ai dirigé beaucoup d’autres choses.
Quand je dirige à Radio France je suis toujours ravi, mais je préfère vous parler des œuvres que j’ai dirigé qui m’ont marquées. Il y a beaucoup de pièces de Maurice Ohana; j’ai été assez proche de ce compositeur mort en 1992. J’ai enregistré énormément sa musique et j’ai toujours eu beaucoup de plaisir à le faire, quelques soient l’orchestre et les chanteurs avec lesquels j’ai travaillé.
Plus récemment, j’ai énormément travaillé avec le compositeur Zad Moultaka, un franco-libanais né en France, qui a une façon de faire la musique très particulière. J’aime beaucoup cette musique. Je travaille également avec le franco-grec Alexandro Markeas. Vous verrez vite dans ce parcours que Ohana, Markeas et Moultaka sont des méditerranéens et on un rapport avec une forme de la vocalité qui m’intéresse.

On peut faire un lien avec le festival de la Meije, bien entendu. Olivier Messiaen n’est pas un méditerranéen. Par contre Jean-Louis Florentz, lui, est allé chercher son altération en Ethiopie. Il y a quelque chose d’assez fort dans cette relation. Par exemple, concernant Florentz, j’ai souvent dirigé Asmara au Maroc en sa présence. 
Il y a quelque chose d’assez proche entre tous ces compositeurs que j’affectionne particulièrement. 

Quant à Messiaen c’est quelqu’un que j’ai beaucoup dirigé notamment notamment Les  Cinq Rechants, mais pas seulement. J’ai fait aussi  Des Canyons aux étoiles avec le festival d’Avignon et c’est la première fois que je ferais Les Trois Petites Liturgies de la Présence Divine.
Olivier Messiaen est un compositeur qui a été un quasi contemporain de Ohana et qui a marqué toute cette génération. C’est indéniable parce qu’il y avait une couleur, un sens orchestrale assez formidable dans ses compositions.

Festival Messiaen: 
     Pouvez-vous nous parler de Musicatreize, projet que vous avez créé en 1987 ?

Roland Hayrabedian:
     Musicatreize, je l’avais créé pour faire un ensemble à douze chanteurs solistes, mais ça s’est élargi très vite à des instrumentistes, car je travaille beaucoup avec des instrumentistes. Parfois on peut être 16, 24 et même plus.
Le concept était autour de 12. Musicatreize ça voulait dire 12 chanteurs plus moi. Mais, finalement, cela devient un terme générique qui ne veut plus dire ceci, car je travaille avec un volant de chanteurs et d’instrumentistes qui est beaucoup plus large que 12. Nous faisons beaucoup de musique de scène, beaucoup de théâtre musical. 

Ce qui m’a particulièrement touché ces dernières années? La Symphonie de Psaumes de Stravinsky, pour au moins 50 chanteurs. Les formes sont donc extrêmement variées et libres.

Festival Messiaen: 
     De 2002 à 2005, vous avez été le Directeur musical de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Roland Hayrabedian:
     Pour moi ce fût été une expérience très importante, une période très heureuse parce que ce projet m’a permis de côtoyer de jeunes musiciens qui, d’ailleurs, pour certains, se sont retrouvés dans Musicatreize ensuite. J’ai beaucoup tourné avec cet ensemble dans tout le bassin Méditerranéen et cela a été une période incroyable car les jeunes musiciens donnent une énergie absolument fantastique. Nous ne sommes pas dans un rapport professionnel direct. C’est une sorte de stage d’été dans lequel ils se retrouvent. Pour moi il n’y a pas ce rapport qui peut être conflictuel avec l'argent, puisque ils sont vraiment là pour faire la musique. Nous avons réalisé des choses formidables avec eux: enregistré un disque, ainsi que des concerts partout dans les pays du Magreb et en Italie, en Espagne. J’ai visité aussi beaucoup de pays pour recruter ces jeunes musiciens puisqu’ils viennent de tout le bassin Méditerranéen.

Festival Messiaen: 
     Aimez-vous votre rôle d’enseignement au CNR de Marseille, et que vous apporte-t-il ?

Roland Hayrabedian:

     Cela m’apporte beaucoup ! J’aime beaucoup faire ça, et cela me permet de ne pas perdre contact avec la réalité. On apprend beaucoup des autres et donc quand on est enseignant on apprend beaucoup de ses étudiants. Comme j’enseigne la direction, j’ai acquis une maîtrise dans cette discipline, mais qui vient à la fois du fait que je fais beaucoup de choses par ailleurs. Je suis un enseignant qui pratique et en même temps ma réflexion se nourrit aussi de cette réflexion pédagogique. Cela m’apporte beaucoup dans mon travail professionnel quand je dirige et quand je fais travailler des groupes professionnels.
Je pense que si nous n’avons pas ce rapport-là, on perd vite le contact et on peut devenir quelqu’un d’absolument déconnecté de la réalité.

Festival Messiaen: 
     Comment vous envisager votre participation au festival Messiaen 2014 ?


Roland Hayrabedian:

     Pour moi, c’est un moment fort, car cette production a été très difficile à monter car elle est assez onéreuse. Et c’est un moment fort d’autant que je suis natif de Briançon. J’ai été baptisé et j'ai fait ma première communion dans cette église où je vais pour la première fois diriger des œuvres. 

On a une relation avec ce festival qui est n’est pas récente. Avec l'ensemble Musicatreize, nous sommes venus souvent au Festival Messiaen. Nous aimons retrouver ce festival pour pouvoir y jouer ces musiques qui sont emblématiques du XXème siècle. Ce ne sont pas des créations récentes, mais des pièces maîtresses et essentielles. Le fait d’avoir un lien à travers Messiaen et tout ce que propose Gaëtan Puaud, à La Grave, c’est quelque chose de très important et formidable dans ces Alpes un peu perdues !